Ceintures de compétences et pédagogie coopérative en 6ème

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Genèse du projet (été 2021)

À la rentrée 2021, il est décidé dans mon collège de monter un projet de classe de 6ème « évalué par compétences/sans notes ». Cela concernera pour la première année une classe de 6ème générale (dont je serai professeure principale) ainsi que la classe de 6ème SEGPA, avec les inclusions habituelles réalisées entre les deux classes.

Notre direction a demandé à ce que nous disposions d’une FIL (Formation à Initiative Locale) sur ce sujet.

Pendant l’été, je tente de me renseigner au maximum sur le sujet et je lis en particulier le livre Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée (G. Caron, L. Fillion, C. Scy, Y. Vasseur) qui m’inspire énormément. J’en retiens en particulier deux idées :

  • L’évaluation par « ceintures de compétences » (inspirées du Judo, d’après la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury)
  • La création de « conseils de classe coopératifs » pour la gestion de la vie de classe

Au passage, je conseille énormément la lecture de ce livre, plein d’idées très concrètes et beaucoup de réalisme : les enseignants qui ont participé à cet ouvrage expliquent bien que les choses se sont créés petit à petit, ils mettent en avant les obstacles et ne le présentent pas comme “la méthode miracle”.

Pendant l’été je commence donc à concevoir mes ceintures (choix des domaines, répartition des différents savoir-faire pour suivre à peu près ma progression annuelle, l’idée n’étant pas de tout refaire non plus).

L’année suivante (2022-2023) le projet est étendu à 3 des 5 classes de 6ème générale, ainsi que la 6ème SEGPA toujours. Puis étendu à toutes les 6èmes ensuite.

La suite de cet article reprend essentiellement un mail que j’avais envoyé à une collègue qui souhaitait en savoir plus sur mon fonctionnement. Je complèterai peut-être plus tard si d’autres questions me sont posées.

Quelques remarques d’ordre général

  • Les élèves ADORENT, ils me demandent à chaque cours si on va faire ça.
  • Ça demande énormément de boulot à mettre en place, je me suis vraiment mise sous l’eau quand j’ai lancé ça, je pense que le mieux est de faire ça en équipe, mais bon ce n’est pas toujours possible. Notons aussi que pour se lancer, on peut le faire uniquement sur 1 ou 2 domaines au début, et rajouter les suivants au fil des années, au lieu de vouloir tout faire d’un coup comme moi…
  • Par contre une fois que c’est fait, c’est vraiment tout bénéf et ça se réutilise très bien d’une année sur l’autre, même s’il y a des ajustements à faire.
  • Je suis encore loin d’avoir trouvé une façon de fonctionner qui me convienne pleinement, j’ai déjà beaucoup changé entre la première et la deuxième année, et je ne suis toujours pas satisfaite de mon fonctionnement !
  • Je ne pense pas faire de gros changements pour la troisième année (2023-2024) car je ne compte pas reprendre de 6èmes l’année suivante. De plus nous aurons désormais 1h de demi-groupes hebdomadaires (contre quinzaines précédemment) ce qui va grandement me simplifier les choses.
  • J’ai la très grande chance d’avoir ma propre salle dans mon collège, ça aide beaucoup. Je pense que c’est faisable sans ça, mais ça demande une certaine logistique.
  • Ça demande de faire beaucoup de photocopies. Ça vaut le coup de présenter le projet à sa direction pour ne pas se le faire reprocher.

Fonctionnement

  • Je consacre une ou plusieurs séances par semaine aux ceintures, les autres sont pour mes cours « classiques ». La première année (2021-2022) j’y passais 1,5~2h par semaine, la deuxième (2022-2023) je ne l’ai fait qu’en demi-groupe donc on a très peu avancé sur les ceintures, mais c’était plus simple à gérer pour moi (à cause de ma prépa agreg, je suis allée au plus simple dans mes pratiques pédagogiques).
  • Dans ma salle j’ai 4 espaces consacrés aux ceintures :
    • Un premier endroit où il y a 6 trieurs (1 par domaine, avec une intercalaire pour chaque niveau de ceinture), où se trouvent les feuilles d’entraînement, que j’imprime en noir et blanc.
    • Un second endroit où il y a les 6 mêmes trieurs, mais où cette fois-ci se trouvent les corrigés. Je n’en imprime que 5 exemplaires de chaque, en couleur, et que je plastifie. Les élèves les rangent une fois qu’ils se sont auto-corrigés.
    • Un tableau pour chaque classe, avec la liste des élèves. Quand ils ont validé une ceinture, ils vont mettre à jour le tableau avec la ceinture qu’ils ont obtenue.
    • Un endroit où je stocke les pochettes des élèves (avant je leur disais de les ramener à la maison mais ils les oubliaient trop souvent).
  • Lors d’une séance de ceintures, chaque élève récupère sa pochette dans laquelle se trouve son livret (où il colle les évaluations passées), les feuilles d’entraînement en cours, son “plan de travail” (où il note les 3 ceintures qu’il prépare en ce moment). Les élèves avancent donc en autonomie sur leur plan de travail, s’ils ont besoin d’aide je les invite en priorité à se tourner vers des camarades qui ont déjà obtenu leur ceinture, et sinon vers moi. Les entraînements sont en auto-correction dans la salle. Quand ils ont fini de préparer les 3 ceintures de leur plan de travail, ils m’apportent les 3 entraînements et le plan de travail, je vérifie qu’ils aient bien tout fait et tout corrigé, et je leur donne les 3 évaluations correspondantes (je reviendrai dans un autre point sur comment je les ai en pratique). Ils les passent, me les rendent, et depuis la deuxième année en fait j’arrive quasi-systématiquement à les corriger en direct avec eux, je pense que c’est idéal. Une fois qu’ils ont récupéré leurs évaluations, ils les collent dans le livret, prennent un nouveau plan de travail, et c’est reparti. Je ne fixe pas de temps pour les évaluations de ceintures, mais comme ce sont de petites feuilles A5 ça va relativement vite.
  • J’ai créé la progression des ceintures pour qu’elle suive à peu près ma progression annuelle. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le faire de manière très stricte, en fait c’est probablement assez bénéfique pour les élèves de travailler des choses différentes en ceintures et en cours classique. Et ils ont des rythmes très différents et font aussi des choix très variés (certains élèves veulent absolument avancer le plus vite possible en calculs, d’autres au contraire veillent à méticuleusement avancer en parallèle dans tous les domaines, d’autres font des choix un peu aléatoires…), donc très vite on n’a plus 2 élèves qui en sont au même stade. Se pose donc forcément la question des élèves qui vont très vite, et qui arrivent donc à voir en ceintures des choses pas encore vues en classe. C’est là où le fait de le faire en 6ème aide : en fait ils ont vu quasiment tout le programme déjà, donc ça ne les bloque pas. Et ces élèves sont en général particulièrement autonomes, donc au pire il leur suffit d’un petit exemple de ma part pour comprendre l’idée et après avancer par eux-mêmes. Et c’est là où le système prend tout son sens selon moi : chaque élève peut vraiment avancer à son rythme, et ça c’est chouette, et je pense que ça explique en grande partie le fait qu’ils adorent ça. Avec aussi la possibilité de toujours repasser une éval ratée : j’ai dans mon collège pas mal d’élèves qui étaient en refus total de l’évaluation, et qui n’ont pourtant aucun problème avec les ceintures, car c’est beaucoup moins angoissant. Même si en contrepartie pour la valider il faut vraiment que ce soit quasi-parfait.

Difficultés

  • Une des grosses difficultés du système (et qui explique sûrement que c’est beaucoup plus utilisé en primaire qu’au collège, où nous avons beaucoup plus d’élèves), c’est le suivi de chaque élève. La première année j’avais un tableur, ça fonctionne mais c’est chronophage. Depuis la deuxième année j’ai la chance d’avoir une application sur mon site (merci à mon conjoint développeur !) pour gérer ça. Je peux rentrer les évaluations réussies/ratées par les élèves (j’ai 3 sujets d’évaluation par ceinture, la première fois qu’ils la passent ils ont le sujet A, s’ils la ratent et doivent la repasser, ils auront le sujet B, puis le C, puis éventuellement (c’est très rare, et à ce stade je la fais avec eux pour les débloquer) ils rebouclent sur la A), les ceintures que les élèves sont en train de préparer, et du coup l’application me génère automatiquement le PDF contenant toutes les futures évaluations. Ça me fait gagner énormément de temps je dois dire. Une autre solution serait de négocier avec la direction pour avoir une petite imprimante dans sa salle et les imprimer au besoin. L’année dernière, comme je n’avais pas ça, les élèves passaient leurs évaluations tous en même temps, et donc avant l’évaluation je notais tout ce que je devais imprimer, mais c’était très long. Une dernière solution serait aussi de tout simplement imprimer en avance un certain nombre de chaque évaluation, ça demande un peu d’organisation pour ne pas avoir de pénurie, et il y aura forcément un peu de gâchis de papier, mais je pense que c’est tout à fait faisable et probablement le moins compliqué. Quitte à n’utiliser qu’un seul sujet par ceinture (ce n’est pas si grave qu’ils repassent le même sujet je pense).
  • Une autre difficulté est de développer l’autonomie des élèves et qu’ils s’approprient le système. La première année je me suis rendu compte à la fin que certains élèves n’avaient toujours pas bien compris le fonctionnement. C’est pour ça que la deuxième année je voulais pendant la première période ne le faire que pendant les demi-groupes. Puis en fait je suis restée comme ça mais ce n’était pas le but initial 😅

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